L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes – Karine Lambert


Mademoiselle Maeve

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Le résumé : « Les hommes sont omniprésents dans cet immeuble de femmes… dans leurs nostalgies, leurs blessures, leurs colères et leurs désirs enfouis. Cinq femmes d’âges et d’univers différents unies par un point commun fort : elles ne veulent plus entendre parler d’amour et ont inventé une autre manière de vivre… Jusqu’au jour où une nouvelle locataire vient bouleverser leur quotidien. Juliette est séduite par leur complicité, leur courage et leurs grains de folie. Mais elle, elle n’a pas du tout renoncé ! Et elle le clame haut et fort. Va-t-elle faire vaciller les belles certitudes de ses voisines ? »

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Le passé est si présent


Depuis l’adolescence je traîne cette terrible envie d’être sur scène. J’essaie de transmettre ces émotions singulières refoulées en moi. Jouer devant un public, c’est angoissant et si dérisoire comme défi. Je m’inflige une vive douleur. Je ranime mes complexes. Je joue seul plus d’une heure sans égard pour ma santé. Finalement ce spectacle m’apporte peu de reconnaissance. Encore un dur constat ! Pourtant cette parenthèse sur scène rejoindra les souvenirs enivrants et illusoires alors que l’écriture laisse des traces.

Le hasard et les femmes ! Je pourrais envelopper cette dualité tant ma vie est imprégnée de rencontres qui jaillissent sur ma solitude. J’ai intégré à mes spectacles ces rapports de couples à coup d’illusions et de mensonges que j’ai pu cerner. Evidemment le double miroir que je balance au public avec les travers des gens et le côté introspectif de l’écriture, peut le rendre frileux, réticent à voir mon one man show. J’ai rencontré des personnes étonnantes, fantasques, surtout des femmes aux yeux bleus. J’ai trouvé dans leurs yeux, de l’énergie, de la ténacité.

Babeth est assise au deuxième rang. Elle ne cesse de me fixer. C’est plutôt rassurant. Au moins elle semble intéressée par le sujet. Je pénètre ses yeux bleus. Malgré le magnétisme de son regard, je ne parviens pas à y cerner une expression précise. Ses yeux me troublent au point d’éprouver cette sensation que son regard m’appelle, me trace un chemin pour rejoindre son âme. En quittant la scène, je rejoins quelques amis dans la salle. Babeth s’approche et le décalage est surprenant entre sa voix timide et son regard où se croisent des éclairs équivoques. Cette nuit-là je retrouve ses yeux bleus pour y cheviller un scénario. La vie de Babeth semble défiler, à la fois étrange et banale, monotone et confuse. Je glisse aisément dans le fantasme. Je l’imagine avec des hommes, des menteurs. Babeth offre son corps, chaque aventure semblant une brèche dans sa vie terne. Les hommes la quittent et elle reste abasourdie avec les fragments d’une histoire. Babeth semble un peu paumée. Elle range ses histoires dans les tiroirs pleins de crédulité d’une commode tanguant dans sa tête. Ses aventures sont insipides. Elle semble sans réaction face aux événements. En fait je me place dans un axe d’absurdité avec de telles pensées. Le film se déroule. J’imagine Babeth dans un restaurant avec un homme dont les pensées ne vont pas au-delà d’un désir pour ses formes rondes. Une rencontre banale, un discours plat et ils finiront par faire l’amour sans s’aimer. J’entrevois un contexte jouissif. J’imagine Babeth à chaque fois bernée et culbutée sur des lits puis livrée à ces moments d’étourdissement quand tout finit brusquement.

Je me persuade que je pourrais changer la vie de Babeth. Quel égarement de jugement ! On ne peut inverser le processus des pensées de l’autre. Le passé a peut-être un poids supérieur à toutes nos tentatives de changement. Le passé est si présent, réduisant parfois toute initiative à un côté dérisoire. Les souvenirs drainent des messages et nos projets ressemblent à des ballons qui peuvent éclater. Chaque fois que je rencontre une femme, je me heurte à son passé. Comme il est teinté de désillusions ou de trahison, je dois m’accommoder de la désespérance de ma partenaire. Evidemment toutes les relations sentimentales doivent être partagées avec le poids des souvenirs, de relations antérieures. Mais je rencontre le mauvais passé de ces femmes, le passé qui transperce, détruit et dont je recueille les fragments. Je passe après ceux qui blessent. On passe toujours après quelqu’un et difficilement après une déchirure.

Le passé ressurgit et devient la pièce maîtresse ou l’intrus tandis qu’une histoire se construit. Une rencontre, c’est le frôlement de deux parcours, comme une fusion de regrets, de remords. Tout s’enchevêtre et vient narguer la relation. Tout semble évident et pourtant on se moque des leçons du passé. On finit par se fourvoyer et par répéter les mêmes erreurs. A la fin d’une représentation, le directeur du théâtre me remet une carte postale de Babeth. Juste quelques lignes sincères, pudiques. Je lui réponds aussitôt. J’ai tellement envie de me confier à quelqu’un, retraçant mon parcours de timide jusqu’à cette sensation extrême sur scène avec ma peur, mon défi. Tout se mêle. Ma relation avec Babeth, c’est une interrogation qui prend la forme d’une illusion puis d’une appréhension. C’est immuable comme l’espérance. Je révèle à Babeth mes angoisses et mon surplus d’énergie pour ce spectacle. En même temps je cherche à défricher son regard étrange. Babeth semble guidée par la curiosité, comme une personne se livrant à une étude de marché.

Voudra-t-elle me revoir ? Je dois trouver un prétexte pour à nouveau me requinquer durant quelques heures dans ses yeux bleus. Elle m’écoute sans laisser surgir le moindre signe d’affection pour moi. Finalement je lui propose un dîner et elle accepte. Dans ses yeux bleus, je retrouve les yeux verts de Fatima. Avec elle, j’ai connu ma première histoire d’amour enroulée de douleur car la religion nous séparait. Un athée ne pouvait entrer dans sa vie. J’ai vécu tant d’histoires impossibles qui réduisaient l’amour à une étendue de tabous, de barrières. Les yeux de Babeth m’entraînent vers des larmes de femmes, des cœurs pleins de blessures. En même temps je rejoins les rivages d’histoires compliquées. Je quitte les yeux de Babeth pour retrouver l’itinéraire d’un malaise. Je suis souvent dérouté, prenant en pleine figure le côté déstabilisant du fantasme qui est si coriace. Je recherche ces femmes désenchantées. Mais je suis désarçonné. D’ordinaire l’humour est mon atout. Mais je dois casser toute sensation troublante. Je me résous à une conversation anodine avec Babeth et je repars dans ses yeux.

La tristesse, je la retrouve dans bien des yeux. La tristesse de la résignation rend la femme encore plus belle. La tristesse est un territoire si fertile en sensibilité. Les yeux bleus de Babeth viennent d’accueillir une perplexité. Je saisis aussitôt ce doute. Babeth s’interroge sur ma solitude. A vrai dire j’ai laissé cette solitude s’installer et elle m’a fait de jolis cadeaux. Elle m’a permis de reprendre le chemin fiévreux de l’écriture et de publier quelques romans, de préparer aussi ce spectacle. Pourtant je vis avec des ancrages affectifs très forts. Parfois je capte une intrigue dans un regard. Je peux voyager et me porter sur ces sentiers qui traversent le regard. Je déniche des grottes secrètes.

Didier Celiset (Extrait – Dans ses yeux bleus)

(Paru en 2012 aux Editions Scripta)

Réveil du lecteur


C’est le propre du roman d’amener le lecteur à renoncer au sommeil. A se relever, sans faire de bruit, pour ne pas troubler celui ou celle qui dort à ses côtés. A descendre dans le salon, allumer les lumières et s’affaler dans le canapé, vaincu. La prose a gagné le combat. On ne peut plus lui résister. 

Jean-Philippe Blondel 

 

Ma vie s’est écoulée à écrire


Pourtant, ma vie s’est écoulée à écrire… Née d’une famille sans fortune, je n’avais appris aucun métier. Je savais grimper, siffler, courir, mais personne n’est venu me proposer une carrière d’écureuil, d’oiseau ou de biche. Le jour où la nécessité me mit une plume en main, et qu’en échange des pages que j’avais écrites on me donna un peu d’argent, je compris qu’il me faudrait chaque jour, lentement, docilement écrire, patiemment concilier le son et le nombre, me lever tôt par préférence, me coucher tard, par devoir. Un jeune lecteur, une jeune lectrice n’ont pas besoin d’en savoir davantage sur un écrivain caché, casanier et sage, derrière son roman voluptueux. C’est une langue bien difficile que le français. A peine écrit-on depuis quarante-cinq ans qu’on commence à s’en apercevoir.

Colette

Le besoin d’écrire


Françoise Mallet-Joris